En un tour de main

De Yamanote

Ce dimanche un temps clément (au moins pour le début de la journée) nous a permis de mettre nos nouveaux vélos à l’épreuve pour un tour que j’avais longtemps eu envie de faire : celui de la Yamanote.

J’ai déjà évoqué la Yamanote, célèbre ligne circulaire de train de Tokyo. Mon objectif de la journée : en faire le tour à vélo, s’arrêter dans toutes les gares pour prendre au moins une photo du nom de la gare et si possible trouver le tampon de la gare (je n’en ai trouvé que 21 sur 29, je n’ai pas pris le temps de les chercher dans les grandes gares). Ne vous laissez pas leurrer par la distance totale somme toute modeste (~34km), ça prend bien toute une journée !

En tant qu’étudiant en Japonais, une des choses qui m’a longtemps intrigué avec la ligne Yamanote (山手) est son nom. Il est composé de deux des plus simples kanjis, montagne (山,YAMA) et main (手,TE). Un peu trop littéralement on pourrait traduire par « la main de la montagne ». Il s’agit en fait plutôt de « la desserte de la montagne ». Un nom toujours un peu surprenant pour une ligne circulaire me direz-vous ? La raison est historique : la première ligne à s’appeler Yamanote, à l’aube du vingtième siècle relie Shinagawa qui représente la plaine maritime à la gare de Tabata qui se situerait (ça ne m’a pas semblé évident) dans les collines de l’arrière pays naissant. Seulement ensuite la ligne de train fut étendue pour être circulaire et desservir de façon pratique les quartiers à l’est de Tokyo. D’ailleurs, l’étymologie se retrouve dans le nom des voies de chemin de fer (celles posées par terre par opposition à la ligne de train) : la voie empruntée entre Shinagawa et Tabata se prénomme toujours Yamanote, mais ensuite pour finir la boucle, le train emprunte les voies Tohoku-Honsen dans le nord et Tokaido-Honsen à l’est.

Une des principale difficulté a été de suivre la ligne : bien appliqués, juste après Kanda, nous suivons consciencieusement les lignes de train surélevées pendant quelques instants avant de nous rendre compte que le quartier de Akihabara qui devrait se trouver pile en face est sur notre droite ! Nous suivions en fait la Chuo-sen qui bifurque peu avant la gare de Akihabara !

Il n’est pas non plus facile de se diriger à proximité des grandes gares. Mention spéciale à la gare de Tokyo qui est toujours en travaux (mais la restauration du bâtiment historique promet d’être somptueuse), ainsi qu’aux deux géantes Ikebukuro et Shinjuku. On les sent venir de loin : les trottoirs s’engorgent et les routes se transforment en artères où roule un cortège de voitures, bus de ville et autocar autoroutiers… Pas très agréable.

Les gares du nord, plus petites m’ont laissé la meilleure impression. Après Ueno on se dirige vers Uguisudani qui avec son petit bâtiment m’a vraiment fait penser à une gare de campagne. En contrebas, une forêt de « Love Hotel », dense jusqu’à Nippori avant de se clairsemer. Ces petites rues ne manquent pas d’un charme kitsch et désuet, les gens sont peu nombreux et discrets…

Par ici il y a également de nombreux ponts à partir desquels on peut regarder passer les trains. A Nippori, il y a même une fresque sur un bâtiment adjacent aux lignes présentant les différents modèles. Les parents y emmènent leurs enfants. Passe un shinkansen et l’un d’eux s’écrie : « Celui-là c’est le Tanigawa ! C’est le Tanigawa ! Hein, c’est le Tanigawa ! » ; puis le train à grande vitesse continue sa route vers les montagnes.

Toujours dans le nord, entre les stations de Tabata et de Komagome, un paysage rare (car unique) : un passage à niveau sur la Yamanote ! Il n’y a effectivement un seul passage à niveau sur qui croise cette ligne. Cela se comprend car en heure de pointe il y a un train toutes les deux minutes trente, et cela dans les deux directions, ce qui ne laisse pas beaucoup de temps pour traverser. Plus loin en gare d’Otsuka, la Yamanote croise le chemin de la ligne de Tramway Toden-Arakawa (déjà évoquée ici), une dernière vision pittoresque avant de rejoindre les parties plus intensément urbaines de l’ouest de Tokyo.

Il y a d’ailleurs un certain contraste entre les gares à l’est et à l’ouest. A l’ouest de grands ensembles commerciaux se sont souvent greffés sur les gares Japan Rail, détenus par des opérateurs de train privés comme Tokyu, Keio ou encore Odakyu qui ont développé leur gares pour inclure des grands magasins de leur marque. C’est valable pour Ikebukuro, Shinjuku et Shibuya par exemple. A l’est (aux alentours de la gare de Tokyo) les voies sont toutes surélevées, construite aux dessus d’arcades traditionnellement en brique rouge en dessous desquelles s’amoncellent petits bars et autres tripots. La raison de cette surélévation était de laisser de l’espace aux routes, mais également aux tramways qui naguère régnaient en maître sur les transports en commun urbains.

Même si la promenade est sympathique, passé Shibuya, je commence à trouver le temps long, surtout qu’une pluie froide se met à tomber par intermittence. Passé Ebisu, et après un arrêt à la combini pour engloutir un diététique « wrap » mayonnaise/fromage/nugget en attendant l’accalmie, une partie très roulante me fait passer rapidement Meguro, Gotanda et m’amène en gare de Osaki, l’antépénultième du programme. Alors que je crois avoir perdu le chemin de fer de vue, la nuit maintenant tombée, roulant entre les gouttes d’eau, j’entends le long feulement de chat sauvage qui annonce la venue du train, puis un grondement de tonnerre tandis qu’un éclair brillant jaillit entre les immeubles.

Mais passé Osaki, une dernière épreuve m’attend. En sortant de la gare de Osaki, la ligne de la Yamanote se dirige vers le sud, puis fait une grande boucle pour finalement se diriger vers le nord et rejoindre la gare de Shinagawa. Le dilemme est que le chemin qui rejoint de la façon la plus directe Shinagawa est un « raccourci » qui part dans une direction perpendiculaire aux rails : après avoir tenté pendant si longtemps de suivre la ligne, je rechigne à finir sur cette note. Je décide donc de rester à l’extérieur de la ligne et d’essayer de repiquer en tournant à gauche le plus tôt possible.

Bien sûr, de nuit dans un quartier inconnu je ne pouvais que me perdre. Je débarque tout d’abord dans une rue bordée d’arcades qui me fait penser à la rue principale de Kyoto. J’ai beau me débrouiller à vélo, je ne pense pas que je sois descendu si loin au sud. En fait, il existe ce genre de rue dans de nombreux endroits au Japon, ici Oimachi.

Après quelques minutes, je me dis qu’il est temps de me diriger vers la droite. Mais à l’intersection, il est marqué à droite Kawasaki, à gauche Shinagawa… Bon finalement ce sera à gauche alors. Puis viennent les embouteillages, les trottoirs bondés, habituellement signes d’une grande gare : Shinagawa enfin ? Las, le bruit des tambours, les filles en yukata et les hommes forts en fundoshi (le sous-vêtement traditionnel japonais, toute recherche google image sera à vos risques et périls) ont tôt fait de me détromper ; il s’agit du matsuri (fête traditionnelle japonaise) du Shinagawa-Jinja.

Je suis néanmoins rassuré de savoir que je suis dans le quartier de Shinagawa. Quand on est à Shinagawa, la gare de Shinagawa ne devrait pas être loin, n’est ce pas ? Je viens du sud et je pédale tranquillement vers le nord le long d’une grande artère en attendant de croiser la gare de Shinagawa quand soudain je tombe sur la gare de… …Kita-Shinagawa (Shinagawa-Nord). Comment je peux arriver à la gare nord sans être passé par la gare normale ? Encore une ruse japonaise. La gare de Shinagawa-Nord (qui part ailleurs n’est pas une gare Japan Rail) est effectivement située à l’extrémité nord de l’arrondissement de Shinagawa (品川区). Seulement, la gare bien connue de Shinagawa est en fait située dans l’arrondissement de Minato (港区). J’avais une vague idée de cette subtilité que j’avais remarquée en étudiant les plans d’évacuation de l’arrondissement de Minato, et j’ai pu finalement retrouver la gare de Shinagawa « perdue » (difficile de la manquer, en surface je me demande si ce n’est pas la plus grande des gares de la Yamanote).

Il faut faire contre mauvaise fortune bon coeur. A posteriori, cette aventure n’aura pas été vaine : sans le savoir (et en définitive, après avoir vérifié sur google map, sans trop me perdre) j’ai fait le tour du Tokyo-Sougou-Shario-Center (東京総合車両センター, centre d’entretien des wagons de Tokyo), l’entrepôt auquel sont rattaché tous les trains de la Yamanote et d’où la plupart partent tous les matins pour accomplir leur devoir quotidien.

Content d’être revenu sur des terres connues, je décide de me faire un petit plaisir en visitant le tunnel de Sengakuji, clou de l’intrigue du film « Messengers » (メッセンジャー, passage dans le tunnel à la 30ème seconde de la video en lien, avec en prime le passage de la Yamanote). La gare de Shinagawa étant tentaculaire, il est malaisé de traverser les voies de train dans ses environs. C’est là que le tunnel de Sengakuji (泉岳寺トンネル) prend tout son intérêt : c’est un sacré raccourci. Mais la réputation de ce tunnel tient également à sa hauteur. Elle est limitée à 1m50 à l’entrée. Bien sûr il est plus haut que ça, mais pas de beaucoup car il y avait des endroits où je ne pouvais pas me tenir debout (donc moins de 1m75). Il en devient donc un sujet de conversation entre taxis : il y a ceux qui osent et ceux qui se dégonflent… Il faut dire que le modèle le plus répandu de taxi, la Toyota Crown Comfort a une hauteur de 1m52 et cela sans compter le signe lumineux que les taxis arborent souvent sur le toit. A vrai dire j’en ai vu passer un qui roulait extrêmement lentement pour ne pas rebondir trop violemment sur les cahots de la chaussée : il devait avoir environ 3cm de jeu, et le chauffeur n’avait pas l’air trop rassuré !

La gare de Tamachi marque la fin de la boucle. Au final, je pensais partir pour 3-4 heures, mais il en aura fallu dix pour visiter les 29 gares !

4 Réponses to “En un tour de main”

  1. L'echo Says:

    Ca donne envie d’aller visiter le mini-Kyoto de Oimachi… Sympa, les photos!

    • maaaraag Says:

      Attention, j’ai dit que les arcades de la rue commercante m’ont fait penser aux arcades de Kyoto, mais a part cela ca ne ressemble pas trop a Kyoto (il n’y a pas d’innombrables temples et jardins).

  2. L'echo Says:

    Reblogged this on L'echo du Kanto.

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