Lui : Alors c’était comment ?
Elle : Hum… Je crois que je me suis brulée…
– Conversation surprise à la sortie du bain
Les lecteurs de l’écho du Kanto penseront que c’est du réchauffé, mais réchauffé n’est qu’un euphémisme pour décrire la sensation de brûlure intense que nous a valu la prétention d’entrer dans les bains de Kusatsu. Sensation égalée uniquement par celle du homard au moment de plonger dans la marmite : au sortir de l’eau, nous en partagions également la couleur écarlate ! Je me permet donc de relater rapidement notre séjour dans ce bon village de Kusatsu au tout début du mois d’avril.
La station thermale de Kusatsu (草津温泉) est un endroit décrit comme astringent par nos amis japonais (en fait le mot utilisé, SHIBUI 渋い a plusieurs sens). Ce mot d’apparence effrayante est plutôt facile a retenir car utilisé dans le nom Shibuya (渋谷) un des quartiers les plus emblématiques de Tokyo : la vallée astringente (même si Boilet qui se pique de savoir que Tokyo est son jardin pense que cela signifie « vallée amère ».
Donc, à défaut d’une réputation sulfureuse, c’est une odeur de souffre qui plane sur tout le village. On n’y échappe pas non plus à la station de ski attenante, modestement nommée « Kusatsu International ». Station qui se pique d’une histoire relativement ancienne puisque elle a accueilli le premier télésiège ouvert au public au Japon en 1948.
Trempés par la pluie au pied des pistes, nous nous dépêchons de prendre de la hauteur en quête de neige. Notre attente ne sera pas déçue puisque après deux télésièges, des oeufs puis encore un télésiège, nous voilà à plus de 2000 mètres d’altitude (c’est relativement haut pour une station japonaise) dans la tempête de neige. La visibilité est nulle : hélas, nous ne pouvons pas voir le tout proche sommet du Kusatsu-Shiranesan (草津白根山), figurant dans la liste des cents montagnes célèbres du Japon, connu pour son lac de cratère turquoise que je me promets d’aller voir cet été. La station de ski en elle même ressemble beaucoup aux autres stations japonaises que j’ai pratiquées : de grandes pistes peu difficiles, un petit champ de bosse histoire d’avoir une piste noire. La descente depuis le haut de la station est cependant bien agréable ; il semblerait que ce soit la plus longue piste du Japon.
Avant de venir au Japon, et même avant ce voyage, la seule image que j’avais de la préfecture de Gunma (群馬県), c’était ça. Donc, une préfecture connue pour sa culture maraîchère, sur laquelle malheureusement un voile de suspicion a été jeté par l’accident de Fukushima, puisque ces deux préfectures partagent une petite frontière commune. Mais Gunma est également connu pour ses sources chaudes au rang desquelles Kusatsu occupe une place privilégiée.
Le héros local, outre les membres de l’équipe de football du village dénommée « Thespa » (ce n’est pas une quelconque divinité grecque, mais juste la contraction des mots anglais « the spa ») qui est présente en deuxième division japonaise, est le Dr. Baelz un médecin allemand qui fut en son temps le docteur attitré de la famille impériale japonaises et qui a scientifiquement (et longuement) « étudié » les vertus médicinales de l’eau de Kusatsu. Il faut croire que les propriétés bénéfiques de cette eau, qui viendraient de sa forte acidité, étaient néanmoins connues de longue date puisque sur la place du village un panneau nous explique que Tokugawa Ieyasu (encore lui !) en aurait fait porté à Tokyo pour son usage personnel.
Comme nous l’avons souligné au début, une des caractéristiques de la source est sa très forte température. Elle serait de 94°C à la source : il faut donc la refroidir avant de l’utiliser pour se baigner. Mais il ne faut pas la diluer sous peine d’en perdre les bénéfices, c’est pourquoi deux techniques ont été mises au point pour ce faire.
La première est le Yubatake (湯畑), littéralement « le champ d’eau chaude ». Il s’agit d’une impressionnante construction faite de multiples canaux en bois qui trône sur la place du village. L’eau passant dans ces canaux se refroidit naturellement au contact de l’air avant d’être redistribuée dans les différents bains du village. Il y a bien sûr de nombreux bains payants et autre ryokans, mais de-ci de-là on trouve également des bains gratuits, simples cahutes de bois abritant un bain rempli d’eau à une température excessive.
La deuxième est le Yumomi (湯もみ). Une technique qui n’est plus guère pratiquée de nos jours sinon à l’occasion d’un spectacle payant qui sera un point de parcours obligé pour tout touriste qui se respecte, ne serait-ce que pour entendre chanté en live le chant traditionnel qui l’accompagne. Elle consiste à remuer le bain, comme on ferait avec son café/thé, avec en guise de cuiller une longue planche de bois. Dès lors, le chant est nécessaire pour garder le rythme et la motivation ! Comme on peut s’en douter, la durée de cette tâche de Sisyphe implique un chant avec de nombreuses strophes. Voilà un rapide tentative de traduction de certaines d’entre elles.
Venez voir une fois le bon village de Kusatsu
Où dans la vapeur même des fleurs fleurissent
Bonheur de printemps dans la neige fine
Flotte la silhouette de l’être aimé
A l’automne dans le bon village de Kusatsu
Une rivière d’eau chaude charrie des feuilles écarlates
Ni les médecins, ni les eaux de Kusatsu
Ne sauraient guérir les maladies d’amour
Je ne saurais dire avec certitude si c’est le lieu décrit dans la troisième strophe ci-dessus, mais à l’ouest du village se trouve une petite combe où coule une rivière et où l’on trouve de multiples mares d’eau chaude. En haut de cette combe un bain en plein air le bain en plein air de « Sai no Kawara » (西の河原). L’entrée est payante (quelques centaines de yens) mais le lieu est chaudement recommandé : le bain est immense, il y a une vue sur la forêt et les montagnes environnantes et lorsque nous y étions nous avons même eu le droit à la fine neige de printemps. D’ailleurs mesdames, si la silhouette de l’être aimé tarde à apparaître comme dans la chanson, n’hésitez pas à poursuivre sur le chemin qui remonte à droite du bain : vous aurez une vue complètement dégagée sur le bain des hommes (messieurs ne rêvez pas, le bain des femmes est lui protégé des regards indiscrets par de hautes palissades).